Ce mardi 17 novembre, Belfius présentait sa nouvelle étude MAHA (Model for Automatic Hospital Analyses). Basée sur les chiffres des années 2019 et 2020, cette analyse sectorielle dresse le bilan financier des hôpitaux généraux belges. Résumé de ce qu’il faut retenir de cette 26e édition avec Amélie Goossens, conseiller économique de santhea.
Un secteur (déjà) à bout de souffle
La marge financière des hôpitaux en Belgique est initialement très faible, voire inexistante pour certains. La survenance de la pandémie de COVID-19 aura accentué ce phénomène et pourrait mener plus d’un hôpital à la faillite.
En 2019, en effet, malgré quelques indicateurs à la hausse, la situation financière de nos hôpitaux reste préoccupante : le résultat courant ne représente toujours que 0,48% du chiffre d’affaires, un tiers des hôpitaux généraux affiche un résultat courant négatif, 16 hôpitaux (sur 87) génèrent un cash flow insuffisant, et l’endettement augmente de 3%. Les ventilations régionales de certains chiffres montrent par ailleurs que les fonds propres des hôpitaux wallons et bruxellois représentent moins de 20% du bilan (valeur cible en termes de solvabilité) tandis que leur taux d’endettement avoisine les 41% du bilan (contre 32,4% en Flandre). « Ces différents résultats laissent présager une faible marge de manœuvre ainsi qu’une capacité d’investissement future très limitée à nos hôpitaux, qui doivent pourtant faire face à de nombreux défis dont celui de surmonter la crise actuelle due à la pandémie de la COVID-19. »
Par ailleurs, l’étude MAHA 2020 pointe également le paradoxe de l’intensification croissante des soins avec un encadrement soignant inchangé. « Cette constatation couplée à l’effort considérable consenti durant la crise sanitaire justifient les budgets dernièrement acquis en faveur du personnel soignant (fond Blouses Blanches, IFIC, …). »
Une crise sanitaire et économique dévastatrice
Face au raz de marée financier subi par les hôpitaux au cours de ces derniers mois, Belfius a exceptionnellement adapté son étude et a ainsi intégré une analyse des chiffres du premier semestre 2020. Le premier impact de la crise sanitaire se mesure au niveau de la chute des admissions (- 40% au mois d’avril 2020 par rapport au mois d’avril 2019), conséquence de l’activation du PUH au sein de tous les établissements hospitaliers du royaume. Le nombre de journées, pour sa part, diminue dans une moindre mesure (- 25% au mois d’avril 2020 par rapport au mois d’avril 2019) étant donné que les séjours COVID sont, en moyenne, plus longs.
La réduction des activités a bien entendu mené à une perte importante de recettes, traduite dans l’étude de Belfius par une baisse moyenne du chiffre d’affaires des hôpitaux généraux de 8,1% sur le 1er semestre 2020. Parmi les composantes du chiffre d’affaire, la baisse la plus importante est associée aux suppléments de chambres et produits accessoires (-22,3%), suivie de celle des honoraires (-16,7%). « Une analyse similaire basée sur les données reçues de 14 hôpitaux santhea [1] fait ressortir des pourcentages plus importants, respectivement d’environ -48% et -40%. Notez que ceux-ci sont calculés uniquement sur les mois de mars, avril et mai (2020 par rapport à 2019). Cela signifie qu’il faudrait prendre les chiffres issus de l’étude MAHA, basés sur un échantillon réduit d’institutions pour les analyses 2020 (25 hôpitaux généraux et 6 hôpitaux universitaires contre une quatre-vingtaine habituellement), avec précaution. »
Parallèlement à la perte de revenus, les hôpitaux ont dû faire face à un accroissement des dépenses en matière d’équipements de protection, de dispositifs médicaux, de transferts interhospitaliers, de rémunérations pour les heures et le personnel supplémentaires, etc. Par conséquent, nous assistons à une diminution des charges moins importante que celle des produits. En effet, il ressort de l’étude MAHA que les charges courantes diminuent de 3,6% sur le 1er semestre 2020 pour les hôpitaux généraux (celles-ci augmenteraient même dans les hôpitaux académiques sur la même période). Il est souligné en particulier que les charges de personnel ont continué d’augmenter (de 0,6% en moyenne dans les hôpitaux généraux et de 2,8% dans les hôpitaux académiques) pour les raisons évoquées ci-dessus, et parce que le recours au chômage temporaire n’a pas été systématique. La situation semble fortement varier d’un hôpital à l’autre sur ce dernier point. « En ce qui concerne l’absentéisme, plus particulièrement, il ne semble pas avoir été un élément aussi prépondérant lors de la première vague que lors de la deuxième. Nous ne pouvons donc pas parler d’une réelle charge supplémentaire. »
Le résultat d’une telle différence entre l’évolution des recettes et des dépenses se traduit par une diminution du résultat d’exploitation de 4,7% dans les hôpitaux généraux et de 7% dans les hôpitaux académiques. Le résultat courant deviendrait négatif et est estimé, sur l’ensemble de l’année 2020, à -5,6% du chiffre d’affaires, dans le scénario d’une deuxième vague similaire à la première. Dans un scénario plus pessimiste (basé sur l’évolution du quartile des hôpitaux les plus touchés lors de la première vague), mais sans doute plus réaliste vu la lourdeur de la deuxième vague, le résultat courant 2020 est extrapolé à -11,2% du chiffre d’affaires. Lorsqu’on sait que le chiffre d’affaires des hôpitaux généraux et hôpitaux académiques est estimé à environ 20 milliards, cela signifie que la perte se chiffrerait à 2,2 milliards d’euros. « Au vu de ce résultat, il est primordial d’insister auprès des autorités pour qu’ils compensent l’entièreté des pertes de recettes, y compris celles liées aux suppléments d’honoraires qui constituent une source de financement non négligeable et indispensable pour nos hôpitaux actuellement. Il faut savoir que cette perte en particulier est chiffrée, au niveau de l’échantillon santhea, à environ 50%, lorsqu’on compare mars, avril, mai 2020 aux mêmes mois en 2019. »
Sur base de ces constats alarmants, il est légitime de se poser des questions quant à l’avenir et à la viabilité de nos hôpitaux. D’autant plus que de nombreux défis les attendent dans un futur pas si lointain. L’évolution démographique, les maladies chroniques en constante augmentation, les innovations technologiques. Autant d’éléments que le monde hospitalier devra pouvoir intégrer à son fonctionnement et à ses pratiques. Comment les autorités comptent-elles dès lors soutenir les hôpitaux dans ce contexte difficile, afin qu’ils puissent, demain, continuer à être capables de financer tant leurs investissements courants en matériel médical que leurs investissements en infrastructures ? Tout en restant à la pointe de la technologie médicale en vue de fournir des soins de qualité et de pouvoir résister à toute autre crise future. Apporter des réponses à ces questions est une priorité absolue, pour garantir la pérennité de notre système de santé.
[1] Réalisation d’une enquête auprès de tous les hôpitaux généraux et psychiatriques de santhea qui porte sur la comparaison des recettes et de l’activité entre les mois de mars, avril, mai 2019 et mars, avril, mai 2020.