Bien qu’essentielle, la santé mentale est bien souvent reléguée au second plan au profit de la santé physique. Sujet encore tabou, cette dimension de la santé souffre d’une profonde méconnaissance associée à une grande incompréhension. Ce 10 octobre, journée internationale dédiée à la santé mentale, est l’occasion d’informer et de démonter certains préjugés tenaces. Antoine Pecher, Conseiller en santé mentale chez santhea, en décrypte cinq.
« Les schizophrènes sont dangereux ! »
Les meurtres perpétrés par des personnes souffrant de schizophrénie font parfois les gros titres de la presse et nous laissent penser que ces patients sont forcément dangereux, cette représentation est également alimentée par le cinéma.
Une enquête de 2017[1] rapportait que pour plus de 80 % des répondants, la schizophrénie était souvent associée à la violence et l’imprévisibilité et/ou confondue avec un trouble dissociatif de l’identité. Des films entretenant cette dernière confusion comme Shutter Island, Black Swan ou Fight club étaient régulièrement cités. Face à ces clichés régulièrement véhiculés, nous devons confronter ce biais d’exposition médiatique aux réalités statistiques. Devant quelqu’un de bizarre, qui ne se comporte pas comme les autres, nous ressentons de l’anxiété, de la peur. Nous avons tendance à les imaginer violent. En réalité, 1% des meurtriers environ sont diagnostiqués schizophrènes. S’il peut arriver que des actes violents soient commis par certains patients, c’est une exception.
D’ailleurs, les données de la littérature ne démontrent aucune corrélation entre diagnostic psychiatrique et passage à l’acte violent. Il existe, par contre, des facteurs de risques de passage à l’acte violent comme la consommation d’alcool, la toxicomanie, l’isolement social ou la rupture de la continuité des soins. Ces personnes représentent avant tout un danger pour elles-mêmes. Elles affichent un taux de suicide 13 fois plus élevé que la population générale. Contrairement à ce que l’on pense, ces derniers sont beaucoup plus souvent victimes d’agressions que les autres.
En 2019, parmi les chiffres du baromètre de la schizophrénie[2], 83% des personnes interrogées pensaient que la schizophrénie est une maladie dangereuse. Même si d’énormes progrès en matière de déstigmatisation ont été réalisés ces dernières années, il existe encore beaucoup de travail d’information à réaliser en la matière.
« Si une personne suicidaire parle de ses intentions, elle ne passera pas à l’acte ! »
75% des personnes décédées par suicide l'avaient annoncé. D’ailleurs, très souvent dans le cas d’un suicide, un proche de l’entourage familial ou amical, un médecin, un professeur ou un collègue par exemple, avait été mis au courant du projet suicidaire, bien avant que la personne ne passe à l’acte.
Dans tous les cas, les personnes en parlent souvent directement ou indirectement et cela peut prendre différentes formes. Cela peut se traduire par des messages verbaux directs (« Je n’ai plus le goût de vivre. », « Je vais en finir avec tout ça. », par exemple), mais aussi indirects (« Je suis à bout. », « Je n’en peux plus. », « J’ai peur de ce que je vais faire. », « Bientôt vous allez avoir la paix », par exemple). Plus globalement, la personne exprime généralement des sentiments de désespoir ou se plaint de n’avoir aucun but, de se sentir piégé, de faire face à une douleur insupportable ou encore d’être un fardeau pour les autres.
Par ailleurs, les raisons qui poussent quelqu’un à envisager le suicide sont multiples et souvent propres à chacun. C’est pour cela, qu’il est important de ne pas préjuger de la gravité ou de la sincérité des idées suicidaires.
Il faut également tordre le cou à une autre idée reçue concernant le suicide : parler du suicide à quelqu'un qui va mal n'a jamais contribué à un passage à l'acte suicidaire. Au contraire, c'est l'occasion pour la personne en souffrance de se sentir reconnue, et ainsi faciliter une demande d'aide et de soutien. Demander si une personne songe au suicide, ce n’est pas lui suggérer l’idée, mais lui ouvrir la porte à l’expression de sa souffrance. Les personnes en crise suicidaire sont soulagées de pouvoir partager le fardeau de telles pensées.
Retenez qu’il important de parler du suicide mais pas n’importe comment ! Nous devons éviter de banaliser le sujet, de mettre au défi une personne de se suicider ou de louanger quelqu’un qui s’est suicidé en qualifiant son geste d’héroïque. Pour toute informations complémentaires concernant le suicide, rendez-vous sur le site du centre de prévention du suicide : https://www.preventionsuicide.be/
« A un âge avancé, il est normal d’être dépressif. »
Les réflexions telles que « Pas étonnant qu’il soit déprimé : il a 82 ans. » ou « Si j’avais de l’arthrite, je serais probablement déprimée, moi aussi » sont monnaie courante. Pourtant, la dépression n’est pas une caractéristique normale du vieillissement. La dépression est bel et bien une maladie que l’on peut soigner et elle n’est pas une fatalité !
Avant tout, quelques chiffres : les personnes âgées se suicident beaucoup plus fréquemment que les 15-24 ans, trois fois plus souvent entre 65 et 74 ans et six fois plus entre 85 et 94 ans... Ainsi, les troubles dépressifs touchent 15% à 30% des plus de 65 ans. Ces chiffres témoignent de l’emprise de la dépression chez les seniors. Mais celle-ci est difficile à évaluer. Par pudeur, ou parce qu’ils sont issus d’une génération qui ne se plaint pas, et surtout pas de ses idées noires, ils ne consultent pas directement pour ces problèmes.
Pourtant, certains signes peuvent alerter sur l’état dépressif d’une personne de grand âge. Ainsi, une très forte anxiété, de l’agressivité, des douleurs ou encore l’apparition d’hypocondrie (conviction d’être atteint de nombreuses pathologies) peuvent être révélateur d’un mal-être profond. Par-dessus tout, c’est un sentiment de vide et d’inutilité qui s’exacerbe...
De nombreux événements de vie peuvent expliquer la dépression de la personne âgée tels que la perte de proches, la chute des revenus, les conflits familiaux, la solitude, les pathologies somatiques, les douleurs physiques ou encore la résurgence d’un traumatisme enfoui depuis des années. Sans compter le nombre de patients souffrant de dépression, en lien avec une maladie d’Alzheimer ou de Parkinson par exemple.
Méconnaître la dépression chez le sujet âgé, c’est aussi prendre le risque de confondre l’éprouvé du tragique de l’existence avec la maladie dépressive. Nous pouvons alors déboucher sur deux impasses : l’abstention thérapeutique ou le risque de prescription en excès face à des plaintes ou des modifications comportementales, en dehors de tout processus pathologique.
« Avec un peu de volonté, on peut sortir de la dépression. »
« Ah, si seulement j'avais un problème physique, tangible, visible... On me prendrait au sérieux ! » Voilà une phrase que nous pouvons régulièrement entendre sortir de la bouche d’une personne souffrant de dépression. S’il n’était question « que » de volonté, ce serait effectivement très facile de guérir de la dépression.
Il est tout de même important de souligner que la maladie dépressive est une maladie qui provoque des symptômes que nous appelons : l'aboulie (disparition de la volonté), l'apragmatisme (incapacité à entreprendre des actions) et l'acrasie (agir à l'encontre de son meilleur jugement) qui génèrent donc une difficulté à éprouver de la volonté. Les dépressifs ont, en effet, beaucoup de difficultés à se lever le matin et à enclencher des actions.
Alors oui, cela pousse à dire "Ils manquent de volonté !", mais c'est comme si vous disiez à quelqu'un qui s'est cassé le bassin qu’il manque de mobilité ! Il faut pouvoir comprendre que quelque chose s'est cassé dans le cerveau du dépressif, quelque chose s'est mis à dysfonctionner et fait qu'il n'a plus d'élan vital. C'est donc extrêmement compliqué pour lui de faire preuve de volonté.
C’est alors un réel cercle vicieux qui s’enclenche car à chaque fois qu'une personne déprimée reste inerte, sur son divan, à regarder des séries TV, sa situation s'aggrave et cette situation alimente encore un peu plus cette mauvaise idée reçue. A l’averse, nous savons qu’à chaque fois que cette même personne arrive à sortir marcher avec un ami, à bouger, à faire des choses, sa situation s'améliore un petit peu. Néanmoins, la forcer à sortir de chez elle, à se distraire ou à mieux se nourrir ne fera souvent qu'augmenter son désarroi. Il faut pouvoir trouver un juste milieu et ce n'est sûrement pas à coups de pieds aux fesses que nous l’en sortirons mais à coups de bienveillance !
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, tout le monde pense comprendre la dépression, en avoir fait l'expérience et savoir comment on en sort. La proximité plus ou moins grande des symptômes de la dépression avec des émotions dont nous faisons tous l’expérience au cours de la vie (démotivation, tristesse, découragement, désespoir) favorise la confusion entre dépression et la « déprime » ou le « coup de blues ». Or, chez la plupart d’entre-nous, la variation de ces émotions est normale, temporaire et ne constitue pas un handicap au quotidien.
La dépression est une maladie, et non le reflet d’une faiblesse de caractère. Elle peut durer quelques semaines, souvent plusieurs mois, parfois plusieurs années. Elle nécessite une prise en charge pluridisciplinaire et sa guérison n’est pas une affaire de volonté.
« Les jeunes n’ont pas de problèmes de santé mentale. »
La jeunesse apparaît souvent comme une période enviable de la vie : « L’avenir vous attend, le monde et la vie s’ouvrent à vous ! ». La plupart des jeunes disent d’ailleurs que tout va bien pour eux.
Selon les différentes enquêtes existantes et selon les critères diagnostiques, 10 à 20 % des jeunes de 15 à 25 ans ont des troubles psychiques. Ce qui veut aussi dire que 80 à 90 % des jeunes n’ont pas de problèmes.
Il faut accorder une attention toute particulière à ces 10 à 20% et ce dès leur plus jeune âge car la moitié des problèmes de santé mentale commencent avant l’âge de 14 ans. Bien souvent, la plupart des cas ne sont ni détectés ni traités. À l’échelle mondiale, la dépression est l’une des principales causes de morbidité et d’invalidité chez les adolescents et le suicide est la troisième cause de mortalité chez les 15-19 ans.
Lorsqu’ils ne sont pas traités, les problèmes de santé mentale des adolescents ont des conséquences physiques et mentales persistant jusqu’à l’âge adulte. Traiter les problèmes psychiques des jeunes, au plus tôt, c’est leur assurer une vie d’adulte épanouissante.
[1] Schizophrénie au cinéma : représentations et actions de déstigmatisation. 2017. Résultats d’une enquête nationale auprès des internes en psychiatrie et des psychiatres français. https://www.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2017-6-page-507.htm?contenu=resume#
[2] Le grand baromètre de la schizophrénie. 2019. https://www.janssen.com/france/le-grand-barometre-de-la-schizophrenie