Le vieillissement de la population belge est un enjeu majeur qui requiert l’implication de nombreux secteurs dont celui de la santé. À côté des centres d’hébergement et de soins, des centres de soins de jour pour aînés ou encore des services de soins à domicile, les établissements hospitaliers jouent un rôle important dans la prise en charge des pathologies spécifiques aux seniors. Ainsi, les soins gériatriques évoluent et de nouveaux centres, toujours plus adaptés, émergent. Présentation de deux projets inédits en Belgique : la Clinique de la Fragilité du Centre Hospitalier Régional Sambre et Meuse (CHRSM) et CEPAGE, le Centre dédié à l’évaluation et au diagnostic des pathologies des personnes âgées du Centre Hospitalier EpiCURA, par l’entremise de leur initiateur respectif, le Dr Catherine Magnette et le Dr Alain Juvenois.
L’inéluctable vieillissement de la population
Selon les Nations Unies, le nombre de personnes âgées de 60 ans et + pourrait atteindre les 2,1 milliards d’ici 2050[1]. En Belgique, les chiffres du Bureau fédéral du Plan (BFP) et de Statbel avancent que les 60 ans et + constitueront environ 31 % de la population totale en 2050, c'est-à dire plus ou moins 3,8 millions de personnes. Cela équivaut à une augmentation de 5 % par rapport à 2021 puisque nous comptons actuellement 2,96 millions de 60 ans et + sur une population totale de 11,5 millions[2]. Ces données mettent en évidence le défi majeur que devront relever la plupart des pays, y compris la Belgique : garantir un accompagnement adapté aux personnes âgées en vue de leur assurer le maintien d’une certaine autonomie et d’une bonne santé.
Tandis que le secteur des maisons de repos (et de soins) se questionne et aspire, entre autres, à développer de nouveaux modèles d’organisation et de gestion recentrés autour des résidents, les hôpitaux repensent leurs services de gériatrie. En effet, le processus naturel de vieillissement, impliquant l’altération du fonctionnement des cellules du corps, provoque généralement divers désagréments de santé. Les fonctions motrices et cognitives peuvent être altérées, et certaines maladies surviennent plus facilement. Il est donc important de repérer à temps les signaux indiquant un déclin de la santé dû à l’âge afin d’assurer une prise en charge adéquate aux patients seniors. C’est dans cette optique que le Centre Hospitalier Régional Sambre et Meuse a créé la Clinique de la Fragilité.
Prévenir pour mieux vieillir
En 2020, le Centre Hospitalier Régional Sambre et Meuse a ouvert une des premières Cliniques de la Fragilité de Belgique. Inspirée d’un modèle français, développé notamment à Toulouse, cette unité a pour objectif de détecter les personnes de plus de 65 ans dites « fragiles » et donc sujettes aux syndromes gériatriques. « Les personnes âgées ont souvent une accumulation de maladies qui ont été glanées au fil de la vie. Par ailleurs, cette patientèle prend généralement beaucoup de médicaments, ce qui peut entraîner des effets secondaires, aussi appelés iatrogénie. À cela, il faut également ajouter les maladies et les désagréments typiquement liés à l’âge tels que les maladies liées à la mémoire, les soucis de dénutrition, les chutes, les problèmes d’incontinence, les problèmes d’infection, etc. », explique le Dr Catherine Magnette, gériatre et cheffe du service de gériatrie du CHRSM.
En ouvrant la Clinique de la Fragilité, le Dr Magnette a souhaité, entre autres, répondre à l’un des objectifs fixés par l’OMS concernant les aînés qui est « de réduire, à l’échelle mondiale, le nombre de personnes âgées dépendantes de 15 millions d’ici 2025 ». En effet, cette nouvelle unité ne s’adresse pas à la patientèle gériatrique classique, mais plutôt aux seniors encore autonomes et en relativement bonne santé, mais dont certains aspects pourraient être en train de décliner. Pris en charge à temps, ces problèmes peuvent être maîtrisés. « La gériatrie s’occupe pour le moment de personnes très âgées et malades, mais nous remarquons que si nous continuons ainsi, nous allons nous retrouver avec de plus en plus de personnes âgées dépendantes. La société, économiquement et matériellement, ne saura pas assumer la prise en charge de toutes ces personnes. Il est donc important de prendre les choses en main en amont. Ainsi, dès 60-65 ans, il faut s’intéresser à son propre vieillissement et s’intéresser aux moyens de maintenir son autonomie le plus longtemps possible. »
Ainsi, le Dr Magnette reçoit les patients envoyés par leur médecin généraliste ou venus de leur propre initiative, et réalise une évaluation complète de leur état de santé physique et mentale. Au cours d’un entretien d’une quarantaine de minutes, la gériatre brosse tous les domaines qui peuvent se révéler problématiques à un certain âge. « L’évaluation complète de la fragilité comprend en premier point la mobilité. Nous allons donc questionner le patient sur les éventuelles chutes ainsi que sur la vitesse de marche par exemple, mais nous allons également réaliser des exercices révélateurs de la vitalité de la personne. Le deuxième point, c’est celui des médicaments avec une réévaluation de leur indication et de leur pertinence. Le troisième point c’est l’aspect nutritionnel. Nous regardons si la personne a perdu du poids, si elle s’alimente correctement, si elle a un manque de protéines, etc. Le quatrième point c’est le gros domaine de la mémoire et du bien-être mental, où nous posons des questions du type « Est-ce que vous vous sentez parfois triste ou déprimé ? » et réalisons un mini test de mémoire. »
Une fois l’évaluation réalisée, le Dr Magnette tire les premières conclusions et donne son verdict. Lorsque cela s’avère nécessaire, elle n’hésite pas à réorienter les patients vers ses collègues spécialistes. « Si tout est rassurant dans les domaines ou que je sais donner des petits conseils qui me permettent de corriger certaines choses, la prise en charge s’arrêtera là. Cependant, lorsque je décèle des fragilités dans l’un ou l’autre domaine qui nécessite une prise en charge plus spécialisée, je sollicite alors l’aide de mes collègues. Par exemple, si le petit test de mémoire montre des fragilités, je vais envoyer la personne chez la psychologue dont le bureau est juste à côté du mien afin de pouvoir bénéficier d’une évaluation cognitive complète. »
Selon le Dr Magnette, il est essentiel de pouvoir ouvrir la prévention au plus grand nombre de personnes âgées tant la problématique du vieillissement de la population est un enjeu économique et social crucial « Il faut qu’il y ait une prise de conscience de la société. Les personnes arrivées à un certain âge doivent se questionner sur leur avenir et doivent surtout devenir acteurs de leur propre santé. Certaines personnes ne bougent plus depuis des années, mangent mal, boivent et fument. Dans ces cas-là, aucun miracle n’est possible, surtout s’il n’y a aucune prise de conscience et aucune volonté de changer les choses avant qu’il ne soit trop tard. C’est quand même plus agréable de vieillir en bonne santé et de pouvoir poser les choix adéquats pour sa propre vie plutôt que d’être alité et dépendant ».
CEPAGE réinvente le système des Urgences
La prévention ayant ses limites, les patients gériatriques nécessitent souvent une prise en charge urgente de leurs pathologies aiguës. Les unités d’Urgences ne pouvant cependant pas toujours répondre de manière adaptée aux différents besoins des patients âgés, il est essentiel de repenser le système et de proposer de nouveaux services.
Le 3 mai dernier, le Centre Hospitalier EpiCURA a inauguré sa nouvelle unité « CEPAGE », destinée à prendre en charge les patients gériatriques nécessitant un diagnostic ou des soins immédiats. C’est au moment de la réorganisation des services d’Urgences du pôle borain d’EpiCURA que le service de gériatrie et les MR-MRS disposant de conventions avec l’établissement ont eu de nombreuses discussions concernant la prise en charge en urgence non vitale des seniors. Cette réflexion a mené à la création d’une nouvelle unité au sein de l’hôpital. « Lorsque nous avons supprimé notre PPCU (Première Prise en Charge des Urgences) à Baudour, nous nous sommes demandés si tous les patients gériatriques allaient arriver en ambulance sur le site d’Hornu. Nous avons effectivement commencé à recevoir des patients âgés que nous devions retransférer vers le site de Baudour, car c’est désormais là-bas que se trouve le pôle gériatrique de l’hôpital. Cela veut donc dire que les patients arrivaient dans un service d’Urgences à Hornu qui n’était pas du tout adapté aux patients âgés avec des lits standards, des infirmières urgentistes non spécialisées en gériatrie, un délai de prise en charge trop long, etc. Nous avons décidé de réhabiliter le bâtiment de l’ancien PPCU pour en faire un service d’Urgences pour des pathologies non vitales. » détaille le Dr Alain Juvenois, Directeur médical d’EpiCURA et initiateur du projet.
Ouvert cinq jours sur sept de 8h à 18h, le Centre d’évaluation et de diagnostic des personnes âgées d’EpiCURA est un service d’Urgences unique en son genre, encore jamais testé en Belgique et qui comporte visiblement de nombreux bénéfices. « Le CEPAGE a pour avantage de renforcer la qualité de l’accueil, mais aussi le confort et la sécurité des patients, et de faciliter le transfert des patients en réduisant les transferts inutiles. Par ailleurs, nous y avons intégré des infirmières urgentistes qui ont une certaine expérience dans la prise en charge de patients gériatriques, une cheffe infirmière qui est l’ancienne cheffe infirmière des Urgences et des Soins intensifs et un médecin qui est interniste de formation, mais qui a acquis une certaine expérience dans le service des Urgences et qui a également travaillé dans notre service de gériatrie. Enfin, le plan géographique est idéal, car le CEPAGE est à proximité immédiate de l’hôpital de jour de gériatrie. Cela permettra donc au médecin d’avoir un avis rapide de la part du gériatre, mais également des paramédicaux. Il sera donc plus simple et rapide d’avancer dans les bilans des patients hospitalisés. »
Le CEPAGE se veut donc être le chaînon manquant dans la prise en charge gériatrique et incite à la coopération de tous les acteurs du secteur des aînés, y compris des généralistes. « Mon souhait en créant ce centre était de privilégier les hospitalisations programmées établies avec le médecin coordinateur de l’une de nos MR-MRS ou avec le médecin généraliste. Nous leur envoyons donc une grille d’analyse qui permet de réaliser un premier tri des patients admissibles au sein du centre. Sur base des données fournies, nous savons si les patients ont besoin d’une petite prise en charge traumatologique ou d’une hospitalisation directe par exemple. Dès lors, nous accueillons les patients âgés nécessitant une prise en charge urgente, mais non vitale. Par exemple, ils peuvent être atteints d’une dégradation générale, de température, de problèmes urinaires ou cognitifs. En fonction de leur état, nous les orientons ou non vers les hospitalisations de Baudour. »
Au-delà d’un nouveau service offert à la population senior du Mons-Borinage, le CEPAGE fait également office de projet-pilote validé et soutenu par l’AViQ et le SPF Santé publique et pourrait ainsi entre-ouvrir la porte à l’ouverture d’autres services de ce type chez nous. « Le CEPAGE est un projet-pilote validé pour une durée de deux ans. D’un commun accord avec l’AViQ, ainsi qu’avec les ministères fédéral et régional compétents en matière de santé, nous avons établi une liste de 11 indicateurs à suivre. Cela comprend l’admission du patient avec sa provenance, les raisons de son admission, etc., mais aussi des critères de qualité avec le temps de prise en charge par exemple. L’objectif est de communiquer ces données aux autorités afin qu’elles puissent évaluer la pertinence et l’efficacité du service et ainsi reproduire ce modèle ailleurs en Belgique. »
[1] United Nations. Décennie du vieillissement en bonne santé : l’OMS rappelle la fragilité des aînés en pleine pandémie de Covid-19. 6 janvier 2021. https://news.un.org/fr/story/2021/01/1086002
[2] Sources : Bureau fédéral du Plan ; SPF Economie - Statbel