(Re)donner au secteur de la santé mentale ses titres de noblesse

Depuis toujours en manque cruel de visibilité, de reconnaissance et de moyens, le secteur de la santé mentale a connu, avec la crise de la COVID-19, une nouvelle renommée. Durant plusieurs mois, médias et politiques ont traité du sujet, et cela a été une réelle bénédiction pour le secteur.  Néanmoins, la santé mentale et ses troubles, mais également les soins de santé mentale déployés pour aider chacun.e à y faire face, font encore l’objet de tabous, tout comme les représentations à leur égard qui restent parfois très éloignées des réelles pratiques de terrain. Pour pallier cela, le Centre de Référence en Santé Mentale (CRéSaM) a tenu, cette année encore, à organiser la « Semaine de la santé mentale en Wallonie » destinée, entre autres, à faire connaitre et à dédramatiser la prise en charge psychologique. Un événement utile qui permet d’aborder la santé mentale, autrement.

Un mal-être pandémique

Sous le feu des projecteurs depuis la survenue de la pandémie de COVID-19, la santé mentale et le bien-être de la population sont, depuis, scrutés et sondés sous de nombreux aspects. Ainsi, de nombreuses études nationales et internationales attestent des effets néfastes de la crise sanitaire sur l’état émotionnel ainsi que comportemental des humains. À l’heure actuelle, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en a identifié plusieurs dont un taux élevé d’anxiété et de stress, mais anticipe également une augmentation des niveaux de solitude, de dépression, de surconsommation d’alcool, de drogues ainsi que de comportements autoagressifs ou suicidaires. En juin 2021, Sciensano a mené sa septième enquête de santé COVID-19 et nous apprend qu’en juin 2021, 15% de la population adulte était touchée par un trouble dépressif et 16% par un trouble anxieux. Ces données attestent donc bel et bien du mal-être persistant de la population belge.

Le caractère inédit de la situation que nous vivons depuis bientôt deux ans expose, potentiellement, n’importe qui au développement de troubles psychiques. Pour preuve, même les sportifs professionnels, qui affichent habituellement un mental d’acier à toute épreuve, ont vacillé et la santé mentale n’a pas manqué de s’inviter aux derniers Jeux olympiques de Tokyo. Lors de l’événement, de nombreux athlètes ont fait part de leur grande détresse émotionnelle, s’expliquant notamment par le fait qu’ils aient été confinés et restreints dans la pratique de leur sport respectif durant de nombreux mois. Affichant un fort taux de stress et d’anxiété, ils sont de plus en plus nombreux à consulter auprès de psychologues du sport. La gymnaste américaine Simone Biles a d’ailleurs publiquement admis, lors de ces jeux, qu’elle était atteinte de troubles psychologiques, la conduisant à déclarer forfait pour plusieurs épreuves. Souhaitant privilégier son bien-être à sa carrière, la sportive la plus titrée de l’histoire de sa discipline a éveillé les consciences au sujet de la santé mentale dans le milieu du sport.

La santé mentale pour tous

Bien que la santé mentale connaisse une nouvelle renommée, la thématique reste encore floue pour bon nombre de personnes. Que sont les troubles psychiques ? Quels sont les signaux qui doivent alerter ? Quand faut-il consulter ? À qui s’adresser ? Les questions sont nombreuses et les réponses pas toujours évidentes à trouver. En Wallonie, le CRéSaM, centre d’appui aux acteurs de santé mentale de la Région, s’attèle à rendre l’offre de santé mentale plus visible. Ainsi, l’ASBL a initié la désormais célèbre « Semaine de la Santé mentale en Wallonie » qui prend place au mois d’octobre de chaque année. Julie Delbascourt, Responsable de projets au CRéSaM, nous raconte la genèse de l’événement. « La première Semaine de la santé mentale a eu lieu en 2011 et s’intitulait initialement « La semaine anti-stress ». À l’époque, la Ministre wallonne en charge de la santé mentale avait sollicité le CRéSaM pour mettre sur pied une semaine de ce type afin de déstigmatiser la santé mentale auprès des citoyens. Le Centre a donc organisé de nombreuses activités telles que des portes ouvertes dans les services de santé mentale pour les faire connaître du grand public. »

En 2015, le CRéSaM affiche sa volonté de se repositionner vis-à-vis de la notion de stress, car trop restrictive et ne reflétant pas assez l’ensemble des problématiques de santé mentale qui peuvent être rencontrées. Le nouveau nom de la « Semaine » offre également un nouveau souffle à l’événement « Depuis 2015, la Semaine de la santé mentale a chaque année pris un nouveau visage. Nous y associons fortement les acteurs de terrain que sont les services de santé mentale ainsi que les hôpitaux psychiatriques, mais nous invitons également les autres prestataires ou services de soins qui ne sont pas de la santé mentale stricto sensu comme la première ligne généraliste, qui avec leurs publics sont confrontés à la thématique de la santé mentale. Via un appel à participation, nous ouvrons la porte à tous ceux qui le souhaitent d’organiser une activité qui a pour objectif de mieux visibiliser l’aide et le soutien qu’ils proposent en veillant à l’accessibilité du service. », explique Julie Delbascourt.

Mieux ensemble

Cette 7e édition de la semaine de la Santé mentale en Wallonie était consacrée au lien social. Du 9 au 16 octobre, les Wallons étaient invités, au travers de webinaires, de conférences, de représentations théâtrales, de balades, de concerts ou encore de séances de cinéma, à réfléchir, partager et à échanger autour des relations entre individus. Cette année encore, les acteurs de terrain se sont grandement mobilisés pour faire vivre cette édition 2021 en vue d’offrir des pistes de réflexion et de solutions concrètes aux citoyens. Ils ont par exemple, pu découvrir « La Bulle d'Oxy’Gem », un lieu d’accueil et de socialisation montois.

La Bulle d’Oxy’Gem est l’un des cinq dispositifs[1] d’entraide mutuelle du Réseau Partenaire 107. Cet espace convivial s’adresse aux personnes adultes atteintes, ou ayant été atteintes, de troubles psychiques majeurs qui ne parviennent pas à trouver un accompagnement adéquat. « Le but a été de créer un dispositif plus accessible à des patients ou d’anciens patients qui ne rentrent pas facilement dans des cadres existants. » souligne Jean-Marie Warichet, psychologue et coordinateur de l’espace. Sa formation et son expérience, y compris sa participation à la création des équipes mobiles, ont motivé le soignant à proposer une forme d’accompagnement différente et, selon lui, moins formatée aux bénéficiaires qui le nécessitent. « Dans la philosophie du Projet 107, il y avait l’idée de constituer un espace, appelé le conseil d’usager, où les usagers pouvaient prendre place au milieu des professionnels afin qu’ils puissent dire quelque chose au sujet des soins dont ils bénéfici(ai)ent, sur leur organisation, etc. De ces réunions ont découlé des recommandations, dont celle de développer des groupes de parole. Étant donné que le travail des équipes mobiles est basé sur l’approche individuelle et centré sur les projets individualisés, il était important de proposer quelque chose d’autre. Nous avons donc développé cette nouvelle approche plus communautaire s’adressant à un groupe de patients. », détaille Jean-Marie Warichet.

Les usagers peuvent se rendre au sein de cet espace quand ils le désirent. En aucun cas obligés de décliner leur identité, ils sont libres d’emprunter un pseudonyme pour venir boire un café, jouer une partie de cartes ou de dés, bref réaliser l’activité qu’ils souhaitent. Cependant, le but étant tout de même d’apporter un soutien et un accompagnement psychosocial utiles et bénéfiques, les usagers peuvent également participer à des groupes de parole spécifiques, comme l’explique Jean-Marie Warichet « Bien que nous, les professionnels du centre, soyons là essentiellement en tant que soutien, nous mettons tout de même nos compétences à disposition des usagers. Ainsi, ils peuvent venir nous parler des difficultés qu’ils rencontrent. Ainsi, selon les demandes, nous organisons des groupes de parole libres ainsi que des séances d’information avec des intervenants externes, experts du secteur concerné. »

Afin de pouvoir répondre de manière la plus adéquate possible aux besoins de ses bénéficiaires et par la même occasion de permettre une certaine émancipation de leur condition, la Bulle d’Oxy’Gem dispose d’un mode de fonctionnement particulier, conférant un certain pouvoir de décision à certains usagers. « Nous défendons l’idée que la bulle d’Oxy’Gem est un espace convivial, qui a pour intérêt d’être un groupe d’entre-aide mutuelle. La convivialité ça se construit, cela ne va pas de soi et donc nous avons décidé de constituer un petit staff d’usagers, qui sont des co-gestionnaires et qui tiennent des permanences, permettant d’assurer la convivialité du lieu. Ils travaillent toujours en binôme afin qu’ils ne soient pas trop sollicités ou angoissés par la tâche. », commente Jean-Marie Warichet. Désormais organisé en ASBL, l’espace laisse également la possibilité aux usagers dont la situation le permet de faire partie du Conseil d’Administration.

Un secteur en manque…

La très grande attention portée sur le secteur de la santé mentale au début de la crise de la COVID-19 était-elle éphémère ? Selon Julie Delbascourt, la réponse est claire… oui ! « La crise sanitaire a permis de lever un certain nombre de tabous sur la santé mentale, mais cela s’est opéré sur des pans bien précis qui ont affecté la population de manière plus importante, comme le stress post-traumatique par exemple, ou comme le mal-être des jeunes qui fait également l’objet d’une attention médiatique assez constante, et l’on peut s’en réjouir ! Par contre, les problématiques psychiatriques comme la schizophrénie et la bipolarité n’ont pas vraiment été évoquées. Quoi qu’il en soit, il y a clairement eu une démystification du terme « santé mentale », et certainement des symptômes d’anxiété et de stress liés à cette crise sanitaire. De façon plus générale, si l’on regarde dans le rétroviseur, nous avons constaté que l’attention portée par les médias sur la santé mentale a tout de même baissé. Malgré une communication soutenue du CRéSaM vers les médias en amont de cette Semaine, afin de mieux la faire connaître des professionnels de la relation d’aide et du grand public, nous avons eu peu de retours de la presse. Cela nous interpelle. À notre sens, au-delà des constats qu’il y a un certain « mal-être » ou pour le dire autrement « une souffrance psychologique » pour une part de la population, il y a encore un travail important à faire concernant la visibilité des ressources[2] possibles pour faire face à la souffrance psychique, dans toute leur diversité !  Il y a donc bel et bien eu une évolution, mais il y a du travail à faire pour que non seulement cette attention perdure dans le temps et au-delà de la crise sanitaire que nous vivons, mais aussi que les ressources en santé mentale soient mieux connues de tou.te.s »

L’OMS tient un discours assez similaire à celui tenu par le CRéSaM. Dans son dernier Atlas, l’organisme dresse un constat assez accablant à ce sujet en annonçant que la plupart des objectifs en matière de santé mentale fixés pour 2020 ne sont pas atteints par les pays membres. « La dernière édition de l’Atlas, qui comprend des données provenant de 171 pays, indique clairement que l’attention accrue accordée à la santé mentale au cours des dernières années ne s'est pas encore traduite par la mise en place à grande échelle de services de santé mentale de qualité qui correspondent aux besoins.[3] » Le Directeur général de l’OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus appelle ainsi les États membres à réagir au plus vite « Il est extrêmement préoccupant de constater que, malgré le besoin évident et croissant de services de santé mentale, qui est devenu encore plus criant pendant la pandémie de COVID-19, les bonnes intentions ne se concrétisent pas en investissements. Nous devons tenir compte de ce signal d’alarme et agir en conséquence, en accélérant considérablement le rythme des investissements dans la santé mentale, car il n’y a pas de santé sans santé mentale. »

Pour finir, au niveau national, le CRéSaM incite les différents ministères qui sont, de près ou de loin, concernés par la thématique de la santé mentale à l’inclure dans leurs politiques « L’une des valeurs importantes que nous défendons c’est la transversalité dans les politiques. Nous plaidons pour que la santé mentale soit une préoccupation qui traverse l’ensemble des politiques, aux différents niveaux de pouvoir et donc que les secteurs comme celui de la jeunesse ou de l’emploi s’en saisissent aussi et qu’ils mettent en place des mesures qui favorisent une meilleure santé mentale pour toutes et tous. », conclut Julie Delbascourt.

[1] Les quatre autres dispositifs sont : B’eau B’art, Bric à Brac, Conviviath et Un Lieu Un Lien

[2] Outre l’organisation de la Semaine de la santé mentale en Wallonie chaque année, le CRéSaM a repris le modèle pyramidal de l’Organisation Mondiale de la Santé afin de mieux faire comprendre les types de ressources possibles face à la souffrance psychique. Cet outil présente de façon structurée (mais non exhaustive) des acteurs qui participent à une prise en charge des problématiques en santé mentale. Plus d’infos ici : https://www.cresam.be/pyramide/

[3] Organisation Mondiale de la Santé. Un rapport de l’OMS souligne le déficit d’investissement dans la santé mentale au niveau mondial. 8 octobre 2021. https://www.who.int/fr/news/item/08-10-2021-who-report-highlights-global-shortfall-in-investment-in-mental-health

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